La loi québécoise sur la laïcité de l’État (loi 21) au prisme de l’herméneutique critique du soupçon et de la recherche-action participative : institutionnalisation de l’islamophobie genrée et mort/survie sociale des muslimāt muḥaǧabāt


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Doctorat / Doctoral

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Mots-clés

  • Loi 21
  • hijab
  • sororité
  • justice sociale
  • Law 21
  • secularism
  • otherness
  • nationalism
  • gendered islamophobia
  • Muslim women
  • social death
  • survival and resistance strategies
  • Québec
  • sisterhood
  • social justice
  • laïcité
  • altérité
  • nationalisme
  • islamophobie genrée
  • femmes musulmanes
  • mort sociale
  • stratégie de survie et de résistance

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Résumé

Cette thèse en sciences des religions investigue les discours politiques et les effets humains entourant la loi québécoise sur la laïcité de l’État (loi 21). Un discours (psycho)politique qui problématise et stigmatise l’islam et les femmes visiblement musulmanes s’est construit au Québec depuis trois décennies en affiliation à la France. Au fil de ces débats, s’est tracé un large faussé entre le « nous » de la majorité coloniale blanche d’ascendance catholique et francophone et le « non-nous » érigé principalement en réaction à l’altérité visible et lisible des corps féminins musulmans. Plusieurs tentatives de lois dites sur la laïcité et les valeurs québécoises ont marqué la scène politique et les imaginaires collectifs dans une volonté de consolider les frontières de ce qui est perçu comme la nation et l’identité québécoise. Le 16 juin 2019, la Loi québécoise sur la laïcité de l’État (loi 21) est adoptée dans une course parlementaire effrénée, sous bâillon et avec des dispositions de modification et de dérogation aux deux chartes des droits et libertés opérantes en sol québécois – créant une brèche en termes de respect des droits fondamentaux de toutes les minorités, ainsi qu’une rupture historique et démocratique pour une société qui se dit progressiste, inclusive et féministe, – et certainement un point tournant dans l’institutionnalisation de l’islamophobie genrée en Amérique du Nord. La loi 21 comme contrôle politique des communautés musulmanes par la domination et le découvrement coercitif des corps musulmans féminins donne l’impression à une majorité catho-laïque, blanche et francophone d’être de nouveau les Maîtres chez nous. En ce sens, la loi 21 illustre une transition du pouvoir et une reproduction par injonction inversée d’une domination historiquement subie par les classes ouvrières de canadiens-français à travers le Speak White imposé par la bourgeoisie anglophone; vers aujourd’hui, l’imposition contemporaine, sous couvert de laïcité, de normes vestimentaires aux minorités religieuses du Québec – la loi 21 incarnant un dispositif de Dress White. Par ce procédé, la souveraineté identitaire et parlementaire de la nation québécoise opère proactivement face au multiculturalisme canadien par l’érosion des droits et libertés ainsi que la non-souveraineté corporelle des femmes musulmanes. Ces québécoises musulmanes qui pratiquent le hijab, les muslimāt muḥaǧabāt, principales concernées et ciblées par la loi, n’ont pas été consultées ni considérées avant, pendant et après l’adoption de la législation, alors même qu’elles sont déprivées d’un pan très large et injustifié de leurs droits et libertés. Au croisement des disciplines des sciences des religions et des Critical Muslim Studies, j’emploie l’herméneutique critique du soupçon et la recherche-action participative pour questionner le paradigme de la laïcité dans le texte de la loi 21, sa discussion politique, médiatique, historique et juridique durant le tribunal de la Cour supérieure du Québec, ainsi que les expériences sociales et professionnelles vécues par des musulmanes visibles. À travers un cadre conceptuel issu de l’islamophobie et de la nécropolitique, je discute de la mort sociale programmée des musulmanes qui restent visibles en sol québécois, et les manières de résister à cette injonction politique. Deux principaux profils émergent parmi les vingt et une (21) femmes interviewées provenant du domaine de l’enseignement et du droit : celles dans la vingtaine et la trentaine, nées ou socialisées au Québec, perçoivent la loi comme un traumatisme intergénérationnel; celles dans la quarantaine et la cinquantaine, qui ont choisi le Québec – pour éviter la France, ressentent une trahison migratoire. La loi 21 conduit non seulement à la déqualification professionnelle et à la suspension des droits fondamentaux de ces femmes, mais surtout dessine les contours de leur mort sociale. Face à l’exclusion et la marginalisation extrême vécues, celles-ci élaborent elles-mêmes et entre elles des stratégies physiques, psychologiques et professionnelles pour survivre à leur illégitimité légalisée. Face à une loi qui cherche à effacer leur islamité genrée, qui a confisqué leur voix et leurs droits et libertés, ces femmes démontrent par les témoignages recueillis qu’elles se narrent en termes de survivantes plutôt que de victimes. Malgré les souffrances vécues, les muslimāt muḥaǧabāt continuent d’exister et de résister à la légalisation et la banalisation de leur exclusion – en refusant de se découvrir, en se réappropriant leur foi et en réimaginant leur capacité d’agir dans une société hostile à la visibilité de leur islamité genrée. Les réponses des participantes à cette étude montrent comment la loi 21, en ciblant leur pratique religieuse et leur expression visuelle, contribue à redéfinir leur pouvoir personnel. La loi les place dans une position où elles doivent constamment négocier leur identité publique et privée, souvent au prix de leur bien-être psychologique et de leur sentiment de dignité.


This thesis in religious studies investigates the political discourse and human effects surrounding Québec’s secularism law (Law 21). A (psycho)political discourse that problematizes and stigmatizes Islam and visible Muslim women has been constructed in Québec over the past three decades in affiliation with France. Throughout these debates, a deep divide was depicted between the “us” of the white French colonial majority of Catholic descent and the “non-us”, primarily constructed in reaction to the visible and legible otherness of Muslim women’s bodies. Several attempts at laws on secularism and Québec values have marked the political scene and collective imagination, aiming to solidify the boundaries of what is perceived as the Québec nation and identity. On June 16, 2019, Québec’s secularism law (Law 21) was passed in a rushed parliamentary process, under closure, with provisions to amend and derogate from the two charters of rights and freedoms in effect in Québec – creating a breach in terms of respecting the fundamental rights of all minorities, as well as a historic and democratic rupture for a society that claims to be progressive, inclusive, and feminist. It was undoubtedly a turning point in the institutionalization of gendered Islamophobia in North America. Law 21, as a political control mechanism over Muslim communities by coercively uncovering and dominating Muslim women’s bodies, gives the majority of Catholic-secular, white, and French-speaking Quebecers the impression of once again being Maîtres chez nous. In this sense, Law 21 illustrates a transition and reversed reproduction of historical domination endured by French Canadians through the Speak White imposed by Anglophones, now toward the contemporary imposition, of dress codes under the guise of secularism on Québec’s religious minorities – Law 21 embodying a Dress White mechanism. Through this process, Québec’s identity and parliamentary sovereignty proactively counter Canadian multiculturalism by eroding the rights and freedoms and bodily sovereignty of Muslim women. These Muslim Quebecers who practice the hijab, the muslimāt muḥaǧabāt, primary targets of the law, were neither consulted nor considered before, during, or after the legislation’s adoption, even as they are unjustly deprived of a broad scope of their rights and freedoms. At the intersection of religious studies and Critical Muslim Studies, I use critical hermeneutics of suspicion and participatory action research to question the paradigm of laïcité in the text of Law 21, its political, media, historical, and legal discussion during the Québec Superior Court trial, as well as the deeply cruel social experiences of visible Muslim women. Through a conceptual framework drawn from Islamophobia and necropolitics, I discuss the programmed social death of Muslim women who remain visible on Québec soil, and the ways to resist this political injunction. Two main profiles emerge from the twenty-one women interviewed in the fields of education and law: those in their twenties and thirties, often born or socialized in Québec, perceive the law as an intergenerational trauma; those in their forties and fifties, who chose Quebec to avoid France, feel a migratory betrayal. Law 21 not only leads to the professional disqualification and suspension of the fundamental rights of these women but most significantly traces the contours of their social death. In the face of the extreme exclusion and marginalization experienced by these women, they develop physical, psychological, and professional strategies among themselves to survive their legalized illegitimacy. Confronted with a law that seeks to erase their gendered Islam, that has confiscated their voice and their rights and freedoms, these women demonstrate, through the collected testimonies, that they narrate themselves as survivors rather than victims. Despite the suffering endured, the muslimāt muḥaǧabāt continue to exist and resist the legalization and normalization of their exclusion by refusing to uncover, by reclaiming their faith, and by reimagining pathways to agency in a society hostile to the visibility of their gendered Islam. The responses of the participants in this study show how Law 21, by targeting their religious practices and visual expression, contributes to redefine their personal power. The law places them in a position where they must constantly negotiate their public and private identities, often at the cost of their psychological well-being and sense of dignity.

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