Analyse quantitative et qualitative de la relation entre les fonctions de l’automutilation et les capacités de mentalisation dans la population adulte
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Cycle d'études
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Mots-clés
- automutilation
- fonctions
- emotional regulation
- mentalizing
- mixed design
- ecological momentary assessment
- interpretive phenomenological analysis
- régulation émotionnelle
- mentalisation
- devis mixte
- devis écologique momentané
- analyse interprétative phénoménologique
- NSSI
- self-harm
- functions
Organisme subventionnaire
Résumé
L’automutilation est un phénomène préoccupant en raison de ses relations avec de nombreux problèmes de santé physique et psychologique, ainsi que de son potentiel de létalité. Il est important de s’attarder aux fonctions de l’automutilation (c.-à-d. les raisons pour lesquelles les individus s’automutilent), afin d’intervenir sur celles-ci. Une personne peut s’automutiler pour différentes raisons, celles-ci peuvent varier entre les individus et chez un même individu. On distingue deux catégories de fonctions à l’automutilation : les fonctions intrapersonnelles (p. ex., s’autopunir, se sentir moins dissocié) et les fonctions interpersonnelles (p. ex., communiquer sa détresse, créer une distance avec autrui). Il reste à comprendre ce qui fait qu’une personne se tourne vers l’automutilation afin de répondre à ces fonctions. Un bon nombre de théoriciens et de cliniciens comprennent les agirs contre le corps, incluant l’automutilation, comme témoignant de difficultés de mentalisation. La mentalisation se définit comme la capacité à imaginer et comprendre ses actions et celles des autres en termes d’états mentaux. Au niveau empirique, les déficits de mentalisation sont opérationnalisés en deux types : l’hypomentalisation, une difficulté à former des modèles de l’esprit nuancés, et l’hypermentalisation, une tendance à générer des modèles de l’esprit trop complexes sans preuve pour les entretenir. Ces deux déficits sont associés à l’automutilation dans les études, mais de façon contradictoire. Certaines études suggèrent que seule l’hypomentalisation est associée l’automutilation, alors que d’autres résultats indiquent que seule l’hypermentalisation joue un rôle dans les comportements d’automutilation. Une explication de cette incongruence pourrait être que différents types de déficits de mentalisation sont impliqués selon la fonction de l’automutilation. Il s’avère pertinent de s’intéresser aux fonctions de l’automutilation à travers le cadre de la mentalisation, considérant que les fonctions sont des cibles de traitement importantes en psychothérapie et que le rôle de la mentalisation est de plus en plus reconnu comme mécanisme de changement. L’objectif de cette thèse est de mieux comprendre les liens entre les capacités de mentalisation et les fonctions de l’automutilation dans la population adulte. Un devis mixte combinant l’analyse quantitative et l’analyse qualitative est utilisé afin d’avoir une compréhension plus large du phénomène. La première étude visait à savoir si les types de défauts de mentalisation peuvent expliquer l’hétérogénéité des fonctions de l’automutilation. Selon les connaissances actuelles sur le sujet, il était attendu que l’hypomentalisation soit associée aux fonctions intrapersonnelles de l’automutilation et que l’hypermentalisation soit associée aux fonctions interpersonnelles de l’automutilation. Cette étude a été conduite à l’aide d’un devis écologique momentané auprès de 73 adultes de la population générale qui se sont automutilés dans le dernier mois. Les participants devaient répondre à des questionnaires évaluant leurs capacités de mentalisation et les fonctions de leur automutilation après chaque épisode d’automutilation pendant un mois. Des analyses de régressions linéaires ont été conduites entre les deux types de défauts de mentalisation et les fonctions intra- et interpersonnelles de l’automutilation, en pondérant pour le nombre d’épisodes d’automutilation pendant le mois et en contrôlant pour l’âge, le groupe ethnique et le pays de résidence des participants. Les résultats indiquaient que l’hypomentalisation prédisait positivement les fonctions intrapersonnelles de l’automutilation, alors que l’hypermentalisation prédisait négativement les fonctions intrapersonnelles. Aucun lien significatif n’a été trouvé en ce qui concerne les fonctions interpersonnelles. Ces résultats suggèrent des relations différentielles entre les types de défauts de mentalisation et les fonctions de l’automutilation, soulignant l’importance de bien évaluer le profil de mentalisation des personnes qui s’automutilent, ainsi que les fonctions que servent leurs comportements d’automutilation. La deuxième étude visait à approfondir la compréhension de l’expérience subjective des personnes qui s’automutilent. Afin de respecter la nature inductive de l’étude et de ne rien imposer sur le vécu des participants, aucune hypothèse formelle n’a été posée. Des entrevues semi-dirigées ont été réalisées auprès de neuf participants âgés de 19 et 41 ans qui se sont automutilés dans le dernier mois. Les entrevues ont été transcrites et les transcriptions ont été analysées selon les principes de l’analyse phénoménologique interprétative. Cette approche étant de nature constructiviste, les récits des participants ont été interprétés par la chercheuse, selon une lunette basée sur les théories de la mentalisation. Trois thèmes généraux ont été identifiés, soit l’environnement nuisible à la mentalisation ou à la régulation affective, les parties de soi souffrantes et l’attaque contre le corps pour réguler la souffrance. Ces thèmes peuvent être reliés dans une conceptualisation qui suggère que l’automutilation serait soit une tentative d’intégrer des parties de soi non intégrables, soit une tentative de les écarter. Cela en réponse à un environnement perçu comme étant inadéquat pour le développement de bonnes capacités de mentalisation ou de régulation affective. Des extraits des entrevues avec les participants sont utilisés tout au long de la présentation des résultats et de la discussion de cette étude, afin d’illustrer le sens donné aux récits. À la lumière de ces deux études, il est suggéré que la régulation émotionnelle peut se faire de façon intrapersonnelle ou interpersonnelle, mais de façon peu mentalisée, par l’attaque contre le corps. Cette thèse illustre l’importance de comprendre comment et en quoi l’automutilation permet à la personne de se réguler, à travers ses différentes fonctions, tout en soulignant le rôle que peut avoir la mentalisation dans l’automutilation et son traitement.
Non-suicidal self-injury (NSSI) is a worrying phenomenon because of its associations with physical and psychological health problems, and its potential for lethality. It's important to evaluate and understand the functions of NSSI (i.e. the reasons why people self-harm), in order to work on them in psychotherapy. There are several reasons why people self-harm, and these may vary between and within individuals. There are two categories of NSSI functions: intrapersonal (e.g., to self-punish, to feel less dissociated) and interpersonal (e.g., to communicate distress, to create distance from others). What remains to be understood is what makes a person turn to NSSI specifically, in order to fulfill these functions. Many theorists and clinicians understand acts against the body, including NSSI, as evidence of mentalizing difficulties. Mentalizing is defined as the ability to think about and understand one's actions and those of others in terms of mental states. Empirically, mentalizing deficits are operationalized in two types: hypomentalizing, a difficulty forming nuanced models of the mind, and hypermentalizing, a tendency to generate overly complex models of the mind without evidence to support them. Both deficits have been associated with NSSI, but inconsistently across studies. Some studies suggest that only hypomentalizing is associated with NSSI, while other results indicate that only hypermentalizing has an impact on NSSI. One explanation for these incongruities could be that different types of mentalizing deficits are involved, depending on the function of NSSI. It is relevant to study the functions of NSSI through the framework of mentalizing, considering that functions are important treatment targets in psychotherapy and that the role of mentalizing is increasingly recognized as a mechanism of change. This thesis aims to gain a better understanding of the relationships between mentalizing and the functions of NSSI in the adult population. A mixed design combining quantitative and qualitative analysis is used, in order to gain a wider view of the phenomenon. The first study aimed to answer the question of whether types of mentalizing deficits can explain the heterogeneity of NSSI functions. Based on current knowledge on the subject, it was expected that hypomentalizing would be associated with intrapersonal functions of NSSI, and hypermentalizing with interpersonal functions of NSSI. This study was conducted using an ecological momentary assessment design with 73 adults from the general population who had self-harmed in the past month. Participants were asked to complete questionnaires assessing their mentalizing abilities and the functions of their NSSI after each episode of NSSI over one month. Weighted linear regression analyses were performed with hypomentalizing and hypermentalizing as predictors for intrapersonal and interpersonal categories of functions of NSSI, with the number of NSSI episodes as a weighted numeric variable and controlling for age, ethnical group and country of residence. Results indicate that hypomentalizing positively predicts intrapersonal functions of NSSI, while hypermentalizing negatively predicts intrapersonal functions. No significant relationship was found for interpersonal functions. These results suggest differential relationships between types of mentalizing deficits and NSSI functions, underlining the importance of properly assessing the mentalizing profile of people who self-harm, as well as the functions served by their NSSI behaviors. The second study aimed to deepen our understanding of the subjective experience of people who self-harm. In keeping with the inductive nature of the study, and in order not to impose prior meaning on the participants' subjective experiences, no formal hypotheses were posed. Semi-directed interviews were conducted with nine participants aged between 19 and 41 that engaged in NSSI at least once in the last month. The interviews were transcribed and the transcriptions were analyzed according to the principles of interpretative phenomenological analysis. As this approach is constructivist, the researcher interpreted the participants' accounts through a lens based on theories of mentalizing. Three general themes were identified: an environment harmful to mentalizing or affective regulation, suffering parts of the self, and attacking the body to regulate suffering. Associations between these themes provide a conceptualization which suggests that NSSI is either an attempt to integrate suffering parts of the self, or an attempt to reject them. This is in response to an environment perceived as inadequate for the development of good mentalizing or affective regulation skills. Excerpts from interviews with participants are used throughout the presentation of results and discussion of this study, to illustrate the meaning given to the narratives. In light of these two studies, it is suggested that affective regulation can be intrapersonal or interpersonal, but in a poorly mentalized way, by attacking the body. Thus, this thesis illustrates the importance of understanding how and in what way NSSI acts as affect regulation, through its various functions, while highlighting the role that mentalizing can have in NSSI and its treatment.