« Don’t we all have voices in our head? » Regards croisés sur les réalités parallèles et plurielles (RPP) au Nunavik : savoirs et expériences inuit en lien avec les phénomènes dits psychotiques et complexité des services en santé mentale
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0000-0002-3772-3507Contributrices et contributeurs
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Cycle d'études
Programme
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Mots-clés
- Phénomènes psychotiques
- Inuit
- epistemic racism
- recovery
- Nunavik
- réalités parallèles et plurielles
- colonialité
- racisme épistémique
- rétablissement
- psychotic phenomena
- coloniality
- parallel and plural realities
Organisme subventionnaire
Résumé
La manière dont sont vécues les expériences des phénomènes dits psychotiques dans le langage dominant de la santé mentale, tout comme le processus de rétablissement, ne sont pas culturellement neutres, et leur définition de même que leurs interprétations sont loin d’être univoques et statiques. Chaque individu qui expérimente les phénomènes dits psychotiques participe à un processus de création de sens façonné par les constructions culturelles, sociales et politiques plus larges qui contextualisent son vécu. Les explications culturelles et personnelles des expériences dites psychotiques sont dynamiques et évoluent constamment pour s’adapter aux contextes changeants. Or, la colonialité et les pratiques normatives en santé mentale contribuent à pathologiser certaines expériences alors qu’elles tiennent souvent peu compte des explications individuelles, culturelles, sociales et spirituelles qui y sont associées. Cette réalité pose non seulement un défi pour les Inuit qui cherchent des services en santé mentale, mais aussi pour les intervenants et intervenantes, notamment les travailleurs sociaux et travailleuses sociales, qui doivent composer avec différents mondes et manquent souvent de moyens pour intervenir de manière culturellement pertinente. Cette thèse explore les phénomènes dits psychotiques et le rétablissement chez les Inuit du Nunavik. Elle s’intéresse également aux services en santé mentale offerts dans cette région. La question qui guide ce projet est la suivante : quelles sont les expériences des Nunavimmiut en lien avec les différentes dimensions des phénomènes dits psychotiques et quel sens accordent-ils à ces expériences? Ce projet poursuit deux objectifs généraux : 1) détailler les réalités qui influencent les expériences et la conceptualisation des phénomènes dits psychotiques et du rétablissement dans des communautés inuit; et 2) décrire les différentes dimensions de l’expérience des phénomènes dits psychotiques et du rétablissement en intégrant des épistémologies inuit. La présente recherche s’est déroulée dans un village du Nunavik. Utilisant l’ethnographie focalisée, ce projet cherche à analyser les expériences subjectives des phénomènes dits psychotiques, les interprétations et les explications de ces phénomènes par différents Inuit, touchés de près ou de loin par ces phénomènes (famille, intervenant religieux, intervenants et intervenantes communautaires, liaison wellness workers, suicide prevention liaison workers, personnes aînées, personnes ayant une expérience vécue des phénomènes dits psychotiques). Il s’agit également d’analyser les interactions entre les différents acteurs et actrices, inuit et non inuit, avec un souci constant du processus réflexif quant à la posture de la chercheuse et les dynamiques de pouvoir présentes dans les services, les pratiques et les discours. Enfin, cette thèse s’intéresse aux visions du rétablissement chez les Inuit et aux pistes d’action pour rendre les services culturellement pertinents. Les résultats ont permis de construire un modèle explicatif des phénomènes dits psychotiques, qui ont été renommés « réalités parallèles et plurielles » dans ces pages, afin de témoigner de la pluralité des expériences et des interprétations et sortir d’une vision uniquement pathologisante. À travers leurs réponses, les participants et participantes mettent en relief la variété des manifestations des phénomènes dits psychotiques, l’enchevêtrement complexe des domaines expérientiels, de même que l’interaction entre la phénoménologie, l’environnement, de même que les facteurs structurels, historiques, individuels et génétiques. Les participants et participantes ont donc rapporté quatre principales explications et représentations des phénomènes dits psychotiques : les explications spirituelles (esprits, phénomènes religieux et manifestations naturelles), les explications psychosociales (traumatismes notamment historiques, habitudes de vie et consommation de drogues et/ou d’alcool), les explications structurelles (reliées aux déterminants sociaux de la santé), et les explications biologiques (caractère héréditaire, traumatisme à la tête). Le rétablissement en lien avec les phénomènes dits psychotiques a été décrit par les Inuit comme un processus qui doit être holistique, collaboratif, et qui inclut les différentes visions du monde. Les entretiens ont permis de faire ressortir sept composantes essentielles au processus de rétablissement : 1) l’inclusion de la culture dans le processus de rétablissement; 2) la religion et la spiritualité; 3) l’aspect relationnel du processus de rétablissement associé aux liens avec la famille, la communauté et l’importance de détenir un rôle; 4) l’inclusion et le respect des savoirs traditionnels détenus notamment par les aînés; 5) l’importance d’intégrer les approches sensibles aux traumatismes; 6) le maintien d’une bonne hygiène de vie; 7) l’importance de considérer le rétablissement comme possible pour tous. Cette dernière composante traduit non seulement par la suppression des symptômes, mais aussi par la découverte d’un nouveau soi. Les résultats mettent également en exergue les dynamiques qui sous-tendent les situations de violence systémique et épistémique. Ces dynamiques peuvent limiter la capacité des Inuit de mettre à profit leurs savoirs et leurs expertises, mais aussi crée des barrières pour les travailleurs sociaux et travailleuses sociales non inuit qui souhaitent adapter leurs pratiques afin qu’elles soient cohérentes avec les besoins des personnes qu’ils accompagnent et qui composent avec différents mondes et exigences. Les propos des participants et participantes, leurs savoirs et leurs expériences témoignent du fait que les phénomènes dits psychotiques sont des phénomènes complexes et nuancés qui peuvent revêtir plusieurs sens. Ils nécessitent donc des réponses tout aussi complexes et nuancées.
Experiences of phenomena referred to as psychotic in the dominant mental health language, as well as recovery, are not culturally neutral, and their definitions and interpretations are far from being equivocal and static. Everyone experiencing so-called psychotic phenomena engages in a process of meaning-making, shaped by broader cultural, social, and political constructions surrounding the experience. These cultural and personal explanations of so-called psychotic experiences are dynamic and constantly evolving, adapting to changing contexts. However, coloniality and normative practices in mental health continue to pathologize certain experiences, often disregarding the individual, cultural, social, and spiritual explanations associated with them. This reality poses not only a challenge for Inuit seeking mental health services but also for practitioners, especially social workers, who must navigate different worlds and often lack the resources to intervene in a culturally relevant and respectful manner. This thesis explores so-called psychotic phenomena and recovery among the Inuit of Nunavik. It also examines the mental health services offered in this region. The guiding question of this study is: What are the experiences of Nunavimmiut concerning the different dimensions of so-called psychotic phenomena, and what meanings do they attribute to their experiences? This project pursues two general objectives: 1) Document the realities that influence the experiences and conceptualization of so-called psychotic phenomena and recovery in Inuit communities; and 2) Describe the different dimensions of the experience of so-called psychotic phenomena and recovery by integrating Inuit epistemologies. The present research took place in a village in Nunavik. Using focused ethnography, this thesis aimed to analyze the subjective experiences of so-called psychotic phenomena, the interpretations and explanations of these phenomena by various Inuit actors closely or indirectly affected by psychotic phenomena (family, pastors, community workers, Wellness Workers, Suicide-Prevention Liaison-Worker, elders, people with experiences of so-called psychotic phenomena). It also sought to analyze the interactions between different actors, Inuit and non-Inuit, with a focus on the process of reflexivity regarding the researcher's stance and the power dynamics present in services, practices and discourses. Finally, this thesis explored Inuit views on recovery and pathways for making services culturally relevant. The findings led to the construction of an explanatory model for so-called psychotic phenomena, renamed "parallel and plural realities" to reflect the plurality of experiences and interpretations, and represents a way out of a purely pathologizing vision. The results highlight the variety of manifestations of so-called psychotic phenomana, as well as the complex intertwining of experiential domains and the interaction between phenomenology, environment, structural factors, history, individual aspects, and genetics. The participants et participants identified four main explanations and representations of so-called psychotic phenomena: spiritual explanations (spirits, religion, and nature-related explanations), psychosocial explanations (especially historical traumas, lifestyle habits, and substance use), structural explanation (related to social determinant of health), and biological explanations (inherited at birth, head trauma). Recovery related to parallel and multiple realities was described by the Inuit as something that must be holistic, collaborative, and inclusive of different worldviews. Seven essential components emerged from the interviews: the inclusion of culture in the recovery process, religion and spirituality, the relational aspect of recovery through connection to family, community, and the importance of having a role, the inclusion and respect of traditional knowledge held particularly by Elders, the importance of integrating trauma-sensitive approaches, maintaining good hygiene and lifestyle, and finally, considering recovery as possible for all, which translates not only into the suppression of symptoms but the discovery of a new self. The results also underscore the dynamics underlying situations of systemic and epistemic violence, which can limit the ability of Inuit to leverage their knowledge and expertise, but also pose barriers for non-Inuit social workers seeking to adapt their practices to align with the needs of the people they serve, navigating different worlds and requirements. The participants et participants statements, their knowledge, and their experiences attest that parallel and multiple realities are complex, nuanced phenomena that can hold multiple meanings, and thus call for equally complex and nuanced response.