Évaluation d'une intervention intégrée répondant aux enjeux de santé à l'interface humains-chiens dans le village inuit de Kuujjuaq, Québec
Date de publication
Autrices et auteurs
Identifiant ORCID de l’auteur
Contributrices et contributeurs
Direction de recherche
Publié dans
Date de la Conférence
Lieu de la Conférence
Éditeur
Cycle d'études
Programme
Affiliation
Mots-clés
- recherche évaluative
- Écosanté
- dogs
- Indigenous people
- Arctic
- participatory research
- Une seule santé
- chiens
- Autochtones
- Arctique
- recherche participative
- evaluative research
- EcoHealth
- One Health
Organisme subventionnaire
Résumé
Les communautés autochtones de l’Arctique canadien sont confrontées à d’importants problèmes de santé publique liés aux chiens. Au Nunavik, un territoire du Québec situé au nord du 55e parallèle, les morsures de chiens sont 4 à 40 fois plus fréquentes que dans le reste de la province. Ces morsures peuvent transmettre la rage, une zoonose mortelle, ce qui, couplé à l’endémicité du virus chez les renards arctiques, accroît le risque d’exposition humaine (320 expositions humaines potentielles signalées entre 2008 et 2017). La situation produit également des risques pour les chiens, dont l’espérance de vie médiane est six fois plus basse que la moyenne américaine. Malgré tout, les chiens occupent encore une place sociale et culturelle centrale dans les communautés, et peuvent apporter de nombreux bénéfices pour le bien-être humain. Répondre à ces enjeux nécessite donc de reconnaître cette ambivalence, ainsi que la diversité et l’interconnexion des facteurs qui les influencent, dont la surpopulation canine, la difficulté d’accès à des services vétérinaires locaux, et les perspectives autochtones. Or, la plupart des interventions actuelles négligent cette complexité, et se révèlent peu efficaces et mal acceptées. Un changement de paradigme est donc nécessaire. Dans ce contexte, une équipe alliant des organisations locales et provinciales et des chercheuses et chercheurs du projet « Indigenous People, Dogs and Wellness » a développé une intervention intégrée : le Kuujjuaq Dog Project (KDP, « Projet chiens de Kuujjuaq »). Ce programme repose sur une approche Écosanté, qui reconnaît les liens entre la santé humaine, animale et celle des écosystèmes, et met l’accent sur une collaboration équitable avec les communautés. Mis en oeuvre en janvier 2020, le KDP comprenait des services vétérinaires locaux, des mesures éducatives (ateliers scolaires pour les enfants et publications sur Facebook) et un renforcement de la règlementation de contrôle de la population canine. Cette thèse avait pour objectif d’évaluer la mise en oeuvre et l’efficacité du KDP, un cas d’intervention intégrée basée sur la communauté, destinée à réduire les risques et améliorer les bénéfices pour la santé à l’interface humains-chiens dans une communauté nordique du Québec. Premièrement, une revue de portée a été réalisée pour identifier des méthodes d’évaluation adaptées à la complexité des interventions de santé intégrées. Elle a révélé qu’une large diversité de cadres conceptuels et de méthodes était utilisée, et a identifié des facteurs influençant le succès et la mise en oeuvre de telles initiatives, dont la qualité de la coopération intersectorielle et le niveau d’engagement des communautés ciblées. Deuxièmement, la mise en oeuvre et les effets du KDP ont été évalués après 2,5 années de fonctionnement, avec une étude transversale répétée (devis quasi expérimental prépost) et des méthodes mixtes. Les données quantitatives ont été collectées grâce à une enquête prépost réalisée auprès de 183 (pré) et 74 (post) membres de la communauté ; les données qualitatives grâce à des entretiens individuels semi-structurés avec 10 parties prenantes clés du programme et 25 autres membres de la communauté. Parmi les personnes enquêtées, 89 % connaissaient l’existence des services vétérinaires ou y avaient été exposées, contre 55 % pour les publications Facebook et 27 % pour les ateliers scolaires. L’étude a montré une amélioration non significative de plusieurs indicateurs de connaissances sur la rage et les morsures après le déploiement du KDP. Les effets perçus sur la population canine et la peur liée à la présence de chiens dans le village étaient mitigés. L’analyse de la mise en oeuvre du KDP a souligné sa pertinence et sa bonne acceptabilité socioculturelle. En cohérence avec la revue de portée, l’engagement prolongé des partenaires locaux et leur collaboration se sont révélés être des défis importants à la mise en oeuvre de l’intervention. Ces facteurs étaient exacerbés par des facteurs propres au contexte de Kuujjuaq, dont l’éloignement géographique et le manque de ressources. Nos conclusions permettent de formuler plusieurs recommandations afin d’optimiser la durabilité et l’efficacité du KDP, soit : consolider la coopération entre les organisations impliquées dans sa mise en oeuvre, encourager la mobilisation citoyenne, renforcer les activités éducatives et diversifier les stratégies de gestion de la population canine. Elle souligne aussi la nécessité d’une évaluation régulière du projet. En outre, elle contribue à combler des lacunes dans les connaissances sur l’évaluation d’interventions de santé publique complexes, et sur les facteurs influençant la mise en oeuvre de telles interventions, notamment lorsqu’elles visent les enjeux de santé liés aux chiens dans les communautés autochtones nordiques. Ainsi, sous réserve de prendre en compte les différences culturelles, structurelles et démographiques entre les villages, les résultats de cette thèse pourraient contribuer à guider la mise en oeuvre et l’évaluation de programmes intégrés et participatifs dans d’autres communautés du nord du Québec ou du Canada, confrontées à des problèmes similaires à l’interface humains-chiens.
The indigenous communities in the Canadian Arctic face considerable public health challenges related to dogs. In Nunavik, a Quebec territory situated north of the 55th parallel, the incidence of dog bites is four to fifty times higher than in other regions of the province. Such bites have the potential to transmit rabies, a fatal zoonotic disease. Due to the endemic presence of a variant of the rabies virus in Arctic foxes, the probability of human exposure is heightened (320 potential instances of human exposure have been documented between 2008 and 2017). The risk of disease and injury is also increased for dogs, and their median life expectancy is six times lower than the US average. Nevertheless, dogs continue to occupy a central social and cultural role in these communities, and they can confer numerous benefits to human well-being. To adequately address these issues, it is essential to recognize the ambivalence surrounding them and to acknowledge the diversity and interconnectedness of the factors influencing them. These factors include canine overpopulation, poor access to local veterinary services, and indigenous perspectives. However, the majority of current interventions fail to acknowledge this complexity and are frequently met with resistance, and the issues remain unresolved. A paradigm shift is therefore required. To this end, a team of local and provincial organizations, in collaboration with researchers from the Indigenous People, Dogs and Wellness Project, has developed an integrated intervention, the Kuujjuaq Dog Project (KDP). The program is based on an Ecohealth approach, which recognizes the interconnections between human, animal, and ecosystem health and emphasizes equitable collaboration with communities. Implemented in January 2020, the KDP included local veterinary services, educational measures (school workshops for children and Facebook publications), and a strengthening of dog population control regulations. The objective of this thesis is to evaluate the implementation and effectiveness of the KDP, which serves as a case study of an integrated community-based intervention designed to mitigate risks while enhancing health benefits at the human-dog interface in a northern Quebec community. A scoping review was initially performed to identify evaluation methods that were appropriate for the complexity of integrated health interventions. The review revealed that a wide variety of conceptual frameworks and methods were being used. It also identified factors influencing the success and implementation of such initiatives, including the quality of intersectoral cooperation and the level of engagement of target communities. Secondly, the implementation and effects of the KDP were evaluated after 2.5 years of operation using a mixed method, quasi-experimental pre-post design. Quantitative data were gathered through a survey of 183 (pre) and 74 (post) community members, while qualitative data were obtained through semi-structured individual interviews with 10 participants representing key program stakeholders and 25 other community members. Among the respondents to the survey, 89% were aware of or had been exposed to veterinary services, in comparison to 55% for Facebook publications and 27% for school workshops. The pre-post survey indicated an overall insignificant improvement in several indicators of knowledge about rabies and bites following the implementation of the KDP. The perceived effects on the dog population and on fear related to the presence of dogs in the village were mixed. The evaluation of the implementation of the KDP highlighted its relevance and good sociocultural acceptability. In line with the findings of the scoping review, the prolonged engagement of key stakeholders and their collaboration emerged as important challenges. These obstacles were further compounded by factors specific to the Kuujjuaq context, including geographical remoteness and a lack of human and structural resources. Our conclusions point to several recommendations to optimize the sustainability and effectiveness of the KDP: to consolidate the cooperation between the organizations involved in its implementation, to promote the mobilization of citizens, to strengthen the educational activities and to diversify the strategies for the management of the dog population. It also highlights the need for regular program monitoring. In addition, it contributes to filling knowledge gaps regarding the evaluation of complex public health interventions and the factors that influence their implementation, particularly when addressing dog-related health issues in northern Indigenous communities. Therefore, the findings of this thesis could inform the implementation and evaluation of integrated, participatory programs in other communities in northern Quebec or Canada facing similar problems at the human-dog interface, provided that variations at the cultural, structural, and demographic levels between villages are taken into account.